Ce slogan soixante-huitard, un peu naïf et dépassé, qui laissait entendre que les élections ne servent à rien sinon à faire dire aux électeurs le contraire de ce qu'ils souhaitent, pourrait-il revenir à la mode ?
La décision concernant l'abandon de la construction de l'aéroport de Notre Dame des Landes (NDDL pour faire branché) fait partie des arguments en faveur de cette thèse. Pour ma part, j'étais plutôt contre. Je devrais me réjouir de l'option prise par le gouvernement. Seulement, voilà, une consultation populaire avait été organisée qui avait approuvé sa construction. Fallait-il passer outre ? Si l'on dit oui, pourquoi organiser des élections. On entend souvent par ailleurs vanter les mérites des référendums d'origine populaire sur des sujets concernant la vie des citoyens. On critique le personnel politique, leur reprochant d'être loin des réalités et/ou ne pas consulter et prendre en compte la volonté populaire. Et, quand, on demande l'avis des intéressés, on ne respecte pas leur décision.
Et puis, prenez le référendum de 2005 sur le traité européen. Là, j'avais voté "oui". Bon, mais c'est le non qui a gagné. C'est cette option qui devait s'imposer. Eh bien pas du tout, nos gouvernants de l'époque sont passés par-dessus en allant négocier à Lisbonne un traité avec les autres pays de l'Union en contradiction du choix des électeurs. Ce choix était-il judicieux ou pas ? C'était un choix démocratique. A quoi, ce scrutin a-t-il servi ? On peut comprendre que les électeurs soient de plus en plus poussés vers l'abstention.
Ensuite, on se souvient de la remarque d'un dirigeant de l'Europe suite au vote des citoyens grecs qui déclarait en substance qu'un vote ne pouvait remettre en cause les traités. Donc autant pas voter. Quelle outrecuidance de la part du peuple grec d'oser aller à l'encontre de traités que l'on ne leur a jamais demandé d'approuver par ailleurs.
Dans le même ordre d'idée, les électeurs irlandais ont rejeté deux traités concernant l'Europe ; la première fois en 2001, le traité de Nice sur l'élargissement de la communauté européenne et une deuxième fois en 2008 en votant contre le traité de Lisbonne. Le Conseil de l'Europe a déclaré à chaque fois que ces traités devaient être de toute façon être ratifiés. Sous la pression, un nouveau référendum a été organisé et le peuple irlandais a capitulé. Le peuple n'allait pas dans le sens de l'histoire. Enfin dans le sens d'une histoire que d'autres écrivent pour lui.
Dernier épisode en date : mai 2018. A la suite des dernières élections législatives en Italie qui ont vu la victoire de la coalition du mouvement M5 et de la ligue du Nord, un premier ministre a été nommé issu de celle-ci. Dans la formation de son gouvernement, le premier ministre, Giuseppe Conte voulait notamment nommer aux Finances Paolo Savona. Le président de la république, Sergio Mattarella, a refusé sa nomination au motif qu’il était eurosceptique. En expliquant sa décisionde la manière suivante : « La désignation du ministre de l’Économie constitue toujours un message immédiat de confiance ou d’alarme pour les opérateurs économiques et financiers ». « J’ai demandé pour ce ministère un représentant politique de la majorité cohérent avec l’accord de programme […] qui ne soit pas vu comme le soutien à une ligne qui pourrait provoquer la sortie inévitable de l’Italie de l’euro ». Devant ce refus, le chef du gouvernement a donné sa démission, considérant qu’il s’agissait là d’un coup de force. « Il est inutile d’aller voter, puisque ce sont les agences de notation, les lobbies financiers et bancaires qui les font » (sous-entendu les élections), a déclaré Luigi Di Maio.
Beaucoup parmi les élites, politiques, journalistes, intellectuels ou parmi ceux que l'on nomme la "classe moyenne supérieure" instruite et financièrement à l'aise, sont démocrates mais pas démophiles. Ils sont pour le gouvernement du peuple, mais il n'aime pas le peuple. Le peuple c'est-à-dire ceux dont Léo Férré chantait : "qu'on ne les voit jamais que lorsque l'on a peur d'eux". Ils supportent le peuple à condition qu'il vote comme ils le souhaitent.
Aussi peut-on poser cette question ? Voter a-t-il encore un avenir ? Et la démocratie par la même occasion.
Ce système politique qui a fait ces preuves et a indéniablement apporté, là où il a réussi, un progrès certain tant du point de vue des libertés que des avantages matériels, peut-il encore répondre aux défis du monde moderne ?
Que peut faire la démocratie face aux problèmes posés par l'immigration massive, la mondialisation, le choc des cultures, le multiculturalisme ?
Peut-elle résoudre les problèmes liés à la violence, la délinquance qui s'étend, aux mafias en tout genre, la ghettoïsation de certains quartiers ?
Que peut-elle pour lutter contre la pauvreté extrême dans un monde, voire même dans nos sociétés développées, où l'écart entre les plus riches et les plus plus pauvres se creuse chaque jour de manière de plus en plus indécente.
Quelle attitude est la sienne devant les puissances privées, économiques ou religieuses, devant les grands groupes au capital supranational qui n'obéissent à d'autre loi que la leur, devant la montée des intégrismes et les attaques contre la laïcité et la république ?
Que peut-elle au regard de l'urgence écologique, du dérèglement climatique et bientôt sans doute d'une nouvelle immigration liée aux phénomènes climatiques ?
L'observation du quotidien nous amène souvent à répondre rien ou pas grand-chose. A cela, on pourrait rétorquer, comme on l'a dit, de la culture : si elle coute trop cher, essayez l'ignorance, si la démocratie fonctionne mal, essayez la dictature.
Cette question est-elle légitime ? Oui dans la mesure où les citoyens des pays démocratiques vont de moins en moins voter. Oui, quand l'abstention devient le premier choix des électeurs.
Citons la phrase de Winston Chuchill, si souvent reprise et qui disait en parlant de la démocratie : "(...) on a pu dire qu'elle était la pire forme de gouvernement à l'exception de toutes celles qui ont été essayées au fil du temps".
C'est tellement vrai ! Mais tous les modes de gouvernement, qui n'ont pas su s'adapter et qui n'ont pas pu répondre aux défis de leur époque, ont fini par disparaitre. Et le minimum est de respecter le choix de ceux à qui on demande leur avis pour que les urnes dans lesquelles, on dépose un bulletin ne se transforment pas en urnes où l'on recueillera les cendres de la démocratie défunte. Pour éviter de passer de l'urne à l'autre.
L'abstention en quelques chiffres | ||||||
cliquez sur le graphique pour l'agrandir | ||||||
Participation aux élections présidentielles des Etats-Unis de 1824 à 2008 | ||||||
En complément, voici le blog de, Jean Claude Kaufmanncliquez sur le nom pour accéder au blog, directeur de recherche au CNRS et qui vient de publier un ouvrage intitulé : "La fin de la démocratie, apogée et déclin d'une civilisation". Vous y trouverez des commentaires sur le phénomène des "gilets jaunes", sur la liberté dexpression et les dangers qui guettent nos démocraties.
Richard Jean Pierre.