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Airdutemps 

 

Un certain 11 septembre

Ça s'est passé un mardi. A 11 h 52, la Moneda a été bombardée. A l'époque, je n'avais jamais mis les pieds en Amérique du Sud, mais j'étais déjà passionné par l'histoire de ce continent. Quelques années au paravent, j'avais rédigé un mémoire sur l'Unité Populaire chilienne qui avait amené au pouvoir Salvador Allende et qui, ici en France et en Europe, avait suscité de nombreux espoirs. Une coalition de gauche arrivait au pouvoir, sur le continent américain, par les urnes. C'était une coalition des partis chiliens de gauche et de centre gauche composée par le Parti socialiste, le Parti communiste, le Parti social-démocrate, le Mouvement d'action populaire unitaire (MAPU), l'Action populaire indépendante (API) et la gauche chrétienne. Ce que l'on a nommé " l'expérience chilienne " a duré 1 000 jours. J'ai appris la nouvelle par la radio. C'était le 11 septembre. Un choc. Un espoir d'alors s'envolait. Il y en eut d'autres. Politiques ou affectifs.

Le 11 septembre 1973, un coup d'Etat militaire renversait le gouvernement légalement élu, appuyé ou pour le moins approuvé par les Etats-Unis. Il s'ensuivit une répression impitoyable faite d'enlèvements, de tortures, d'exécutions, de disparitions d'opposants politiques. L'opinion et la presse internationale se sont emparées de cette situation, dénonçant ce qu'il est convenu d'appeler pudiquement "une atteinte aux droits de l'homme". Mais la répression politique et sa dénonciation ont caché une autre atteinte aux droits de l'homme, l'instauration d'un ordre économique que l'on qualifiera de néo-libéralisme s'inspirant des théories de Milton Friedmann et mis en place en grande partie par des économistes chiliens et état-uniens, les " Chicago-boys ", du nom de l'université où Milton Friedmann enseignait. 

Tout laisse à penser que depuis de longue date le Chili avait été choisi pour servir de "laboratoire" à cette théorie qui devait par la suite inspirér des " leaders " politiques comme Donald Reagan ou Magaret Tatcher avant qu'elle s'étende à la manière d'une pandémie.

L'idée germait depuis longtemps. En 1956, sous le patronage de l’Université de Chicago, un accord fut signé avec l’Université catholique du Chili. Celui-ci permettait à des étudiants boursiers chiliens de poursuivre leurs études en économie à Chicago. La conséquence en fut la transformation de l’enseignement économique au Chili. Par la suite furent organisés des cours d’économie qui ont été spécialement conçus pour des dirigeants d’entreprises ou politiques. Tout ceci déboucha sur une proposition d'élaborer un programme économique. Un groupe commença la rédaction d’un "programme de développement économique", connu plus tard sous le nom de « El ladrillo » (la brique en français).

Ce programme qui avançait masquer sous couvert d'économie, consistait pour résumer à privatiser tous les services publics (santé, éducation, énergie, protection sociale, infrastructures, ouverture sans restriction à la concurrence internationale, etc.) est aussi une philosophie politique, qui a séduit de nombreux hommes politiques européens de droite comme de gauche avec heureusement des conséquences moins graves sur la vie des citoyens de nos pays.

La mise en place d'un nouvel ordre politique et économique était, à mon avis, prévu depuis longtemps. Sans doute bien avant l'arrivée au pouvoir de l'Unité Populaire qui n'a été qu'un prétexte pour perpétrer ce coup d'Etat.

En résumé, on a abandonné le peuple, sans aucune régulation, à la loi du marché au profit des forces économiques. La dictature a fini avec le départ de Pinochet en 1990. Mais la constitution qui livrait toute une partie de la population aux lois sauvages de l'économie a perduré jusqu'à nos jours. Un des défis majeur du Président chilien actuel est de trouver un compromis acceptable avec toutes les forces politiques du pays pour changer cette constitution. 

 

4 décembre 1972

allendeSavaldor Allende, élu deux ans auparavant président de l’Etat chilien, prononce à New-York un discours devant l’assemblée des Nations Unies. Il déclare dans un passage :

« Nous sommes face à des forces qui opèrent dans l’ombre, sans drapeau, avec des armes puissantes, postées dans des zones d’influence directe.

Nous sommes face à un conflit frontal entre les multinationales et les Etats. Ceux-ci sont court-circuités dans leurs décisions fondamentales - politiques, économiques et militaires - par des organisations qui ne dépendent d’aucun Etat, et qui a l’issue de leur activité ne répondent de leurs actes et de leurs fiscalités devant aucun parlement, aucune institution représentative de l’intérêt collectif. En un mot, c’est toute la structure politique du monde qu’on est en train de saper»

Moins d’un an après, il sera renversé par un coup d’Etat militaire, appuyé et approuvé, de longue date par le gouvernement des Etats-Unis. Ce coup d’Etat établira une dictature militaire, mais aussi mettra en place un ordre économique, souvent dénommé « néolibéralisme », mais qu’il faudrait plutôt qualifier d’ultra ou post-libéralisme. Les libéraux du XIXe siècle n’avaient rien à voir avec les « Chicago-boys » qui conseillaient Pinochet. Cette idéologie, car s’en est bien une, venait, entre autres, des théories de Milton Friedmann qui dirigeait la section économique de l’université de Chicago.

Le Chili avait été choisi pour devenir le laboratoire de la mise en place de ses théories qui allaient essaimer dans le monde entier par des méthodes moins violentes, mais avec la complicité d’hommes politiques de droites et la trahison de politiciens de gauches.